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31 décembre 2008

En direct de Rue89: mort d'Yliès, fait divers isolé ou symptôme d'un hôpital malade?

Ilyes, 3 ans, hospitalisé pour une angine, est mort mercredi soir à l’hôpital parisien Saint-Vincent de Paul (XIVe), une infirmière lui ayant administré par erreur du chlorure de magnésium au lieu de vitamines.

Une information judiciaire pour "homicide involontaire" a été ouverte vendredi à l'encontre de cette femme de 35 ans, dont onze de pratique de son métier. Placée en garde à vue, elle a été relâchée sous contrôle judiciaire, avec interdiction provisoire d'exercer son métier. Fait divers regrettable mais isolé ou symptôme d'un hôpital malade? Le débat fait rage sur le web.

Interviewé par le Parisien vendredi, le père d'Ilyes, Ihmad, crie sa douleur et sa colère contre l'institution:

"J’ai vu qu’il était en train de mourir. [...] J’ai appelé au secours mais il n’y avait personne dans le couloir. Ma femme criait. [...] Les soignants m’ont dit qu’il n’avait rien.

"C’est moi qui ai entrepris de lui faire du bouche-à-bouche, puis des massages cardiaques. Quand j’ai prévenu l’infirmière, elle m’a dit sur un ton sec de la laisser travailler. [...] Quand ils ont compris que c’était grave, ça a été la panique. J’ai attendu un quart d’heure avant qu’ils ne reviennent le réanimer. [...] Et lorsque les médecins sont arrivés, ils m’ont dit de les laisser travailler.

"Dans un hôpital du tiers-monde, on l’aurait sauvé. Je veux juste la vérité pour que cela ne se reproduise plus jamais."

"La faute est, évidemment, collective"

Dans un commentaire sur le blog de l'avocat Maître Eolas, la pharmacienne blogueuse Lumière Noire apporte son soutien à la famille. Et n'hésite pas à lâcher cette petite phrase lourde de sous-entendus et extrêmement commentée depuis sur le web:

"C'est vrai quoi, qu'est-ce qu'il y connaissent à la mort ces immigrés (peut-être sans papiers et à la CMU de surcroît!)?"

Tout en rappelant qu’il existe sûrement des circonstances atténuantes (empressement, débordement, négligence), la pharmacienne met également en cause l’ensemble de l’équipe soignante, qui a mis du temps à secourir l’enfant:

"Manque d'éducation, d'instruction, de culture, de responsabilisation des personnels soignants: certains, livrés à eux-mêmes, fatigués, mal payés, démotivés, frustrés, deviennent de très vilaines personnes (...) Par contre, il est clair que cette infirmière n'aurait pas dû être la seule de l'hôpital à passer Noël au poste. La faute est, évidement, collective."

Sur son blog, l'Hérétique met également en cause l'ensemble du monde hospitalier:

"Ce n'est pas l'erreur médicale, qui aurait pu être corrigée, qui est cause du décès, mais deux autres facteurs: d'une part l'absence de moyens des hôpitaux, cela a souvent été dit, mais aussi la surdité ordinaire des professions médicales en règle générale, et cela aussi, il faut bien que cela soit dit un jour. Jamais à l'écoute des patients, toujours imbues de certitudes, détentrices de l'autorité médicale."

Samedi matin, dans les journaux, de nombreux éditorialistes dénonçaient également la seule sanction de l'infirmière. Ainsi, Matthieu Verrier dans "la Voix du Nord", s’interrogeait:

"La garde à vue, qui installe la personne dans une sensation puissante d'inconfort tant physique que moral, s'imposait-elle pour une infirmière pétrie d'un sentiment de culpabilité?"

D'un point de vue juridique, Gilles Devers, avocat au barreau de Lyon, regrette lui aussi cette garde à vue trop hâtive:

"Roseline Bachelot (qui avait qualifié la garde à vue de l’infirmière de 'normale', ndlr) a parlé trop vite."

Et d'estimer que, pour le moment, on ne peut pas condamner une infirmière au pénal pour une erreur:

"La responsabilité commence avec la faute, que le Code pénal retient à partir du seuil de l’imprudence, de la négligence ou de l’inattention. Ici, dire qu’il y a erreur, c’est un constat: un produit a été administré au lieu d’un autre. Ça n’apporte pas de lumière sur une éventuelle responsabilité. La véritable question est: cette erreur résulte-t-elle d’une faute de négligence ou d’inattention?"

Patrick Pelloux demande la démission de Bachelot

Sa conclusion: ne dramatisons pas l’affaire, comme le fait Patrick Pelloux (président du syndicat de médecins urgentistes, Amuf) qui a demandé dès jeudi sur France Info la démission de Roseline Bachelot.

Même critique de Patrick Pelloux chez Philippe (Sully) Robert:

"Le médecin urgentiste Pelloux, syndicaliste outrancier bien connu, ne manque donc aucune occasion de s'ériger en procureur, d'autant plus que Mme Bachelot souffre d'une tare rédhibitoire: elle exerce ses talents à droite."

Pierre Fréhel, du "Républicain Lorrain" finit de l’achever:

"Quand le docteur Patrick Pelloux, médecin urgentiste devenu célèbre grâce à un usage immodéré des médias, réclame la démission de la ministre de la Santé, il règle manifestement quelques comptes personnels avec un pouvoir dont il ne partage pas les vues."

"Demain, ce type d’affaire ira en grandissant"

Ce fait divers relance en tout cas le débat politique autour de l’hôpital public. Mireille Le Corre, secrétaire nationale du Parti socialiste chargée de la santé, a publié hier un communiqué sur son site, dénonçant la saturation des services au moment des fêtes de fin d’année:

"Par sa politique de restriction des moyens, le gouvernement prend le risque de mettre en péril l’hôpital public. Il est urgent que le gouvernement prenne la mesure de la situation de nos hôpitaux."

Le milieu infirmier réagit également: sur le blog fecalome.net, on dénonce le fait que "cette petite victime montre le naufrage de notre métier": manque d’effectif, obligation administrative grandissante, conditions de travail médiocre...

Autre témoignage, sur Rue89 cette fois, Marina, infirmière, confie ses doutes:

"Nous nous sentons tou(te)s concerné(e)s et sommes forcément remué(e)s. Chacun se projette, 'Et si c'était moi?' [...] Nous sommes conscient(e)s des risques liés à notre profession, de la portée de nos actes. [...] Il n'est donc pas permis de jouer aux funambules avec des équipes en sous-effectif, des horaires à rallonge qui favorisent la pression. Si les pouvoirs publics dorment sur leurs deux oreilles, la vie d'une famille est brisée, celle de l'infirmière incriminée l'est aussi."

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