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09 janvier 2008

Rendez-moi mon Hukou

Des conflits sociaux apparaissent tous les jours en Chine. A Shanghai, des manifestants tentent de récupérer leur Hukou -livret d’enregistrement de résidence, après avoir travaillé loin de chez eux pendant plus de trente ans. Reportage.

Il y a foule ce mercredi matin dans la rue. A première vue tout est normal, les rues chinoises sont toujours pleines de passants, vendeurs de snacks ou balayeurs. Nous sommes à Shanghai, à deux pas du Bund, quartier dont l’architecture porte l’héritage de la présence étrangère. Pourtant, au coin de la rue Jiangxi et Guangdong, devant le Bureau du travail de la municipalité, les personnes présentes ne sont pas là pour se promener : aussi surprenant que cela puisse paraître dans la plus grande dictature au monde, environ 200 personnes manifestent ici tous les mercredis matins depuis cinq ans.
Dans les années cinquante le gouvernement de Pékin a mis en place le « Bingtuan », politique de développement de la région autonome du Xinjiang, à l’extrême ouest de la Chine. En envoyant des travailleurs de tout le pays construire des villes, fermes, et usines, le but était d’amener développement économique et stabilité sociale dans cette lointaine région à majorité musulmane. En tout l’on compta 360 000 « volontaires », rien qu’à Shanghai. La grande majorité, partie avant la révolution culturelle n’a pu revenir qu’à partir du milieu des années quatre-vingts. Mais quand ils furent enfin autorisés à rentrer, les autorités du Xinjiang refusèrent de transférer leur « Hukou » - livret d’enregistrement de résidence, sésame sans lequel on ne peut travailler légalement, changer de résidence ou scolariser ses enfants. Ce mercredi, les personnes présentes réclamaient donc au Bureau du travail, à grand renfort de slogans, le transfert de leur Hukou. Sans lui pas de vie possible dans des conditions décentes.
Alors que les policiers surveillent la présence d’éventuels étrangers ou photographes, l’attroupement se fait plus compact: chacun tient une canette et un bâton pour faire du bruit et brandit un panneau rouge sang sur lequel leur revendication est peinte en larges caractères noirs, et ils n’hésitent pas à montrer des lettres rédigées par leur soin ou extraits de textes juridiques prouvant qu’ils sont dans leur bon droit. Les passants s’arrêtent, regardent un instant et repartent, indifférents.
Guo Qinghua (pseudonyme) est l’un des plus bavards. Dans l’attroupement qui se forme, il se distingue car il n’a pas peur de parler : en 1963 il se porte volontaire pour le Xinjiang, faute de trouver un emploi à Shanghai. En lieu et place de salaire, on lui donne une solde : 3 rmb par mois (30 centimes d’euro) la première année, 8 rmb les années suivantes. Tout de suite il comprend que la réalité sera différente de ce qu’on lui a promis : entre dix et douze heures de travail, avec pour seul repas un maïs cuit à la vapeur. Le soir, il dort dans un trou creusé dans l’herbe. « J’avais dix-sept ans à l’époque, j’ai sacrifié ma sueur, mon sang, ma jeunesse », déclare t’il. « Au début des années quatre-vingts, quand notre travail fut quasiment fini, beaucoup ont demandé à rentrer chez eux. Le gouvernement n’a pas voulu transférer nos Hukous du Xinjiang à Shanghai. Il y a eu des manifestations. Vers 1982, certains par désespoir se sont suicidés grâce à une ceinture d’explosif autour de la taille. Les dirigeants ont dû paniquer, car ils décidèrent de laisser partir les couples dont les deux conjoints sont originaires de Shanghai. Nous avions passé vingt ans au Xinjiang, la vie était trop dure, nous voulions rentrer. Mais ma femme n’est pas de Shanghai, donc nous ne pouvions pas partir. Ce n’était pas juste ».
En 1992 le gouvernement décide d’autoriser un enfant de chaque couple à rentrer. Guo Qinghua choisit alors sa fille aînée, qui ne s’était jamais vraiment habituée au climat local. Une fois rentrée à Shanghai, on lui diagnostique une leucémie, elle meurt peu de temps après. Il décide à son tour de rentrer, sans Hukou bien sûr, ni logement. Il habite chez un ami qui lui prête des vêtements. Chaque mois il touche une petite retraite de 830 rmb (83 euros) censée faire vivre sa famille. Il ne cesse de poser cette question, comme à soi-même : « Pourquoi, après avoir sacrifié tant d’années au Xinjiang, on nous empêche de revenir ? » Solennel, il continue : « J’ai rencontré tellement de choses injustes dans ma vie. Je voudrais représenter les millions de personnes envoyées là-bas. Je n’ai pas peur d’aller en prison. »
Il est bientôt treize heures, la foule commence à se disperser. On se donne rendez-vous pour le mercredi suivant, d’un air un peu désabusé. Comme si chacun se demandait si un jour il va récupérer son Hukou.

Aussi: "100,000 Shanghai youths sent to Xinjiang", on Shanghaiist.

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