Depuis le début de cette affaire, Nicolas Sarkozy a multiplié les incohérences et les gestes contradictoires, créant lui-même le piège qui finit de se refermer sur lui. Il est le seul chef d’Etat ou de gouvernement à avoir mis des conditions à sa venue à Pékin pour la cérémonie d’ouverture des JO vendredi: Angela Merkel n’y sera pas, sans avoir expliqué pourquoi, et George Bush a finalement décidé d’y aller, sans état d’âme, se payant le luxe de recevoir des dissidents chinois chez lui sans faire trop de vagues. Sarkozy, lui, a d’abord lié sa venue à d’hypthétiques "progrès" dans le dialogue entre Pékin et les Tibétains, avant de mettre en parallèle sa rencontre avec le dalaï lama en août.
Cette valse hésitation a eu le don d’agacer au plus haut point les dirigeants chinois, déjà remontés contre la France après le passage de la flamme olympique à Paris en avril. Les choses s’étaient calmées après l’envoi de trois émissaires, pas moins, à Pékin, pour mieux repartir avec l’annonce simultanée de la visite à Pékin, et de la rencontre avec le dalaï lama.
Il y a alors eu une joute verbale entre le chef de l’Etat et l’ambassadeur chinois à Paris, Kong Quan. Ce dernier a convoqué des journalistes pour déclarer solellement qu’une telle rencontre Sarkozy-dalaï lama
«serait contraire au principe de non-ingérence des États dans leurs affaires intérieures».
Et le tout nouvel ambassadeur -un diplomé de l’ENA française- de brandir la menace de «conséquences graves» sur les relations bilatérales.
Nicolas Sarkozy avait aussitôt répliqué sèchement que ce n’était pas à l’ambassadeur de Chine de lui dicter son agenda. Eh bien si! (même si c’est déguisé sous la forme d’un renoncement de la partie tibétaine elle-même à demander une telle rencontre).
Le paradoxe de cette situation est que la sortie de Kong Quan avait été critiquée dans certains secteurs de l’establishment chinois, qui estimaient qu’elle ne laissait pas d’autre choix au président français que de rencontrer le dalaï lama, sous peine d’avoir l’air de céder aux injonctions de l’ambassadeur. Kong Quan et l’aîle dure de la diplomatie chinoise ont montré que la fermeté paye, avec Nicolas Sarkozy en tous cas.
Le pire, c’est que le mal est fait et l’annulation de la rencontre n’est qu’une manière de limiter la casse. La gestion désastreuse de toute cette "séquence chinoise", des émeutes de Lhassa le 14 mars, à l’ouverture des JO le 8 août, aura montré un amateurisme incroyable et une méconnaissance du contexte et de la psychologie du pouvoir chinois à ce moment particulier. Le triangle Sarkozy-Kouchner-Yade a dysfonctionné de manière spectaculaire, et le seul vrai connaisseur de la Chine à l’Elysée, le conseiller diplomatique Jean-David Levitte, n’aura pas pu empêcher le désastre.
Nicolas Sarkozy arrive vendredi à Pékin pour quelques heures à peine -vingt heures de vol aller-retour pour dix heures sur place, sans même y passer la nuit…- en position de faiblesse. Le président français s’est éliminé du jeu diplomatique entre la Chine et le reste du monde: il devra subir le rapport de force ainsi instauré pour le reste de son mandat: les Chinois ont compris que pour quelques contrats dont l’économie française a un besoin vital, ils le tiennent.
Que la France entretienne de bonne relations avec la Chine n’a rien que de plus normal. Nicolas Sarkozy avait eu une très belle sortie au parlement européen, en lançant à Daniel Cohn-Bendit: "on n’humilie pas un quart de l’humanité". Mais une phrase brillante et une belle intuition ne font pas une politique étrangère, pas plus que l’envoi de sa femme à une cérémonie religieuse, puisque c’est le lot de consolation auquel auront droit les Tibétains.
La France sort affaiblie et déconsidérée de cet épisode. Elle s’est tirée une balle dans le pied dans l’un des lieux du monde où s’écrit le XXI° siècle. Et surtout, elle aura donné au clan des durs de la diplomatie chinoise une médaille d’or avant même l’ouverture des Jeux.
Sources: ici et là.
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